Nos dernières heures avant le confinement

Cela faisait des mois que l'on attendait ça, des mois que Paul en parlait, des mois qu'il rêvait de découvrir la montagne enneigée, qu'il s'inventait milles histoires, qu'il se nourrissait de livres sur le ski, de documentaires sur la montagne. Petit à petit nous avons regroupé tout l'équipement nécessaire entre ce que l'on avait déjà, les ami(e)s qui nous on prêtait des choses et du seconde main pour le reste. Jeudi 12 mars les valises étaient prêtes. L'avenir était incertain. Nous n'étions pas encore en confinement. On a longuement hésité. On culpabilisait de partir, d’éventuellement prendre un risque pour nous comme pour les autres et en même temps nous étions encore dans le déni. Nous n'avons pas de télévision et on s'interdit de lire une bonne grosse partie de ce qui est publié dans les médias (les journalistes tout ça tout ça). Nous n'avions donc pas encore mesuré l'importance de ce qu'il se passait. On a prévenu Paul, on lui a expliqué qu'il y avait en ce moment un vilain rhume qui circulait, que l'on devait se protéger et protéger les autres, que peut être nous allions devoir annuler son premier voyage au ski. La déception dans ses yeux, l'incompréhension et la colère du haut de ses 4 ans. "C'est pas juste!" Et pour nous la culpabilité de voir la tristesse de notre enfant face à tout ce qui ne tourne plus rond dans notre monde et dont nous sommes toujours en partie responsables, nous les humains qui abusons de notre Terre mère. 

Il s'est couché ne sachant pas si on allait le réveiller dans la nuit pour prendre la route. On a tranché, on a décidé de partir. Tampi si ce n'était que pour quelques jours au lieu d'une semaine. Tampi si ça ne plaisait pas à certains. Tampi si ça nous coûtait de l'argent "pour rien". Tampi si les écoles de ski ferment et qu'il ne peut pas apprendre à skier. Nous ne nous sentions pas capable de faire porter le poids de nos erreurs à notre enfant. Nous ne voulons pas qu'il grandisse avec l'idée que c'est foutu, plus rien de cool n'est possible, l'angoisse de se dire que toute sa vie allait devenir compliquée sur cette Terre à cause de ses anciens. 

Alors on est parti! En prenant nos précautions, avec toutes nos provisions pour tenir une semaine sans mettre un pied dans les commerces. On a réservé nos locations de matériel, remontées etc sur internet pour également limiter notre passage en boutique. Nous prenons la route de nuit pour ne pas avoir à s'arrêter dans une station service bondée de monde pour un éventuel pipi ou un repas. Après tout que prend t'on comme risque? 

L'émerveillement de Paul à son réveil dans la voiture quand il a découvert les paysages enneigés. Son envie irrépressible de sortir vite enfiler ses moufles et ses bottes pour aller la toucher, la neige tant attendue. Et ces mots juste après sa première glissade en luge : "Merci maman et papa c'est trop chouette!" Son aplomb lors de la réservation à l'école de ski lorsque, sans aucune bienveillance, la dame laisse sous entendre qu'il a l'âge mais qu'il est petit en taille pour aller dans le groupe souhaité, " oui bah j'ai 4 ans et demi alors j'ai le droit!" et vlan!






















Et puis l'annonce tombe, les magasins ferment, l'école de ski ferme avant même que Paul n'ait eu le temps d'enfiler ses skis une fois, il faut rendre le matériel, se faire rembourser ce qui est possible, les télésièges ferment. On explique tout cela à Paul en essayant de ne pas être angoissant, en tentant de garder le sourire, de rester positif. On lui dit que l'on pourra rester quelques jours quand même pour profiter des paysages, faire des randonnées en raquettes, des descentes de luge super longues sur les pistes désormais fermées au skieur, des grosses siestes avec papa et maman, des séances cinéma à l'appartement, des bains moussants bien chaud après la neige et peut être même que l'on pourra se faire une soirée avec des amis locaux à seulement quelques kilomètres. 

Et puis l'ambiance devient pesante dans toute la station, malgré nous on entend les nouvelles angoissantes autour de nous, on voit les voitures partir, on entend la télé des voisins branchée sur les infos en continue et leurs commentaires. On commence à regretter, à culpabiliser de ne pas avoir mesurer plus tôt la gravité de ce qu'il se passait. On angoisse, on en parle, Paul entend et angoisse à son tour sans trop comprendre. Il nous dit qu'il veut retrouver sa maison, il se demande si on va rester là pour toujours, il veut retrouver sa chienne, il veut dormir dans sa maison. On devine que l'annonce du confinement ne serait tarder. Alors c'est décidé après dîner on reprend la route, on rentre chez nous. 

Aucun regret. Nous ne nous sommes jamais mis en danger et n'avons mis personne d'autre en danger. Paul qui est de nature assez angoissée lorsqu'il est loin de chez lui était ravi de rentrer. Deux jours lui ont suffit. On se dit que c'était une première approche certes un peu courte mais qui lui aura donné envie d'y retourner.

Dans la nuit de dimanche à lundi vers 3h du matin nous arrivions. Notre Normandie. Notre maison. Notre havre de paix. Il n'y a finalement aucun autre endroit au monde où l'on se sente mieux qu'ici. Chez nous. 


Je vous embrasse.

Laura

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